Balade en 4 x4 dans le Sud marocain   

Claudine et Pascal, Toussaint 2004  

20 ans de mariage à fêter, en s’offrant ces six jours de voyage que nous n’avions pas les moyens de faire à l’époque : le sud du Maroc, les portes du désert, lieu fantasmé par chacun de nous, plus Hoggar et Tassili, certes, mais il faut bien faire avec la conjoncture géopolitique…

Nous avons donc, lâchement, abandonné les garçons, et le camping-car, pour connaître notre première expérience de voyage organisé – la dernière, sans doute, non que les prestations n’aient été de qualité, mais les indécrottables découvreurs individualistes que nous sommes se sont assez mal fait aux rythmes imposés, aux poses photos obligatoires et aux visites à finalité commerçante. D’un autre côté, sauf à s’offrir un voyage totalement individuel « à la carte », nous n’aurions pas découvert seuls le quart de ce que nous avons découvert. Ce doit être un effet de l’âge : j’arrive de mieux en mieux à voir le gris dans le noir et le blanc… Et maintenant nous avons quelques bases pour pérégriner seuls…

Arrivée en soirée à Marrakech après un vol sans histoire - 10° de plus qu’à la maison -, transfert à l’hôtel - un luxe que nous ne connaissions pas -, coucher rapide : nous pensions passer 48 h dans cette ville qui a donné son nom au pays mais nous prenons la route du Haut Atlas de fort bonne heure. Nous nous perdrons dans les souks au retour…

1er jour : Marrakech-Zagora (368 Km)

Nous formons une petite caravane de six Land Rover (un peu moins de trente personnes) : la nôtre affiche 188.476 Km au compteur, nous nous demandons combien de fois il est repassé par 0 !... Aziz, notre chauffeur marocain, un peu en retrait le matin (mais nous sommes en pleine période de Ramadan et, manifestement, garder une humeur égale n’est pas facile), saura nous faire partager l’amour de son pays, des petites combines, des grands paysages - et des rengaines faciles (« Serre pas les fesses, y’a rien qui presse », « Pose ta culotte, c’est moi qui pilote » et autre « Roule ma poule et perds pas la boule ») bien utiles pour faire tomber le stress dans les passages périlleux.

La sortie de Marrakech nous en apprend plus sur la conduite au Maroc que 20 h de conduite accompagnée : une seule vitesse, 100 Km/h, quelles que soient les circonstances, l’encombrement, la présence d’êtres animés (vivants, humains ou animaux, ou mécaniques, camions, mobylettes, vélos, ou encore « mixtes », charrettes à âne). « Ça passe ou ça casse » dira Aziz. Ou encore : « À Paris, le code de la route est impératif, à Rome, il est facultatif, à Marrakech, il est décoratif ». Bien vu…

Tout de suite, la N9, qui nous conduit vers Ouarzazate par le col du Tizi-n-Tichka (le point culminant des routes marocaines, 2260 m, et un private joke avec Claudine), nous offre le dépaysement attendu : dans une longue succession de virages (lors de la descente, ils seront redoutables pour les estomacs), alternent paysages à la minéralité aride et vallées « fertiles » (tout est relatif) où se blottissent nos premiers villages en pisé (l’équivalent de notre torchis, il est fait de terre crue, de paille et de cailloux mis en coffrage plus gros qu’une brique et plus petit qu’un parpaing, et séché au soleil). Les pins d’Alep et les chênes verts laissent la place à la terre rouge puis aux roches grises, comme lunaires. À chaque virage ou presque, des enfants et des moins jeunes, sortis de nulle part, cherchent à nous vendre, sans agressivité mais de manière insistante, quelques babioles ou, à défaut, à obtenir bonbon ou stylo : première rencontre avec la misère, premier émoi d’Occidental bien pensant et qui cultive à loisir une forme larvée de mauvaise conscience… Je prendrai comme ligne de conduite, sans être dupe, de ne donner qu’en échange d’un renseignement ou d’un service, si ténu soit-il. Histoire de me donner l’illusion de suivre des règles…

 

Après Amerzgane, premier (petit) bout de piste vers l’une des splendeurs de notre voyage : le ksar (plur. ksour, c’est un village fortifié, fermé par une enceinte aveugle et encadrée de tours d’angle, qui servait de magasin collectif et de repli défensif en cas de guerre) d’Aït Benhaddou qui dresse sur la rive gauche de l’oued Mellah ses tours carrés de terre battue.

Commencer son voyage par Aït Benhaddou, c’est un peu « gâcher » : nous verrons d’autres splendeurs, mais dans le domaine des ocres, des ruines de terres cuites et des dédales à degrés multiples, nous ne rencontrerons pas plus beau. Le ksar est classé au patrimoine mondial par l’UNESCO et, à ce titre, a bénéficié de quelques campagnes de restauration. L’étape suivante devrait être sa transformation en musée, ce qui conduira à expulser les quelques rares familles qui squattent les lieux et qui devront s’abriter ailleurs. Nous aurons d’autres occasions de revoir les a priori positifs de ces classements onusiens et de leurs pervertissements possibles : le Maroc ne s’accommode vraiment pas du noir et blanc…

 

Pour accéder au site, il faut traverser le village récent situé sur la rive droite de l’oued, puis le dit oued qui coule à peine et que les enfants s’échinent à vous aider à traverser pour glaner une petite pièce, et se perdre dans le dédale des « rues » qui escaladent les pentes jusqu’à l’igherm en ruine (c’est le grenier fortifié communal, l’une des deux principales raisons d’être d’un ksar).

La lumière est déjà haute, malheureusement, et n’expose pas les nuances d’ocres que le lever et le coucher de soleil nous offriront en d’autres lieux. Mais le cadre est magnifique : petites ruelles sombres et fraîches, murs aveugles, portes rarement ouvertes laissant deviner l’intimité familiale, tours festonnées de motifs géométriques, empilement de kasbahs (tighermt en berbère, la maison de l’unité familiale avec quatre tours d’angle), panoramas somptueux sur l’oued et le Tichka. Depuis Lawrence d’Arabie, les cinéastes se sont emparés de ces lieux magiques, on comprend pourquoi.

      

   

Nous continuons sur Ouarzazate où nous déjeunons rapidement et poursuivons sur la N9 vers Agdz, porte d’entrée de la riche vallée du Drâa et sa succession de palmeraies, larges parfois de quelques kilomètres. Au sortir de ces terres arides du jbel Tifernine, où la poussière est partout présente, cette verdure née de l’eau providentielle marque le contraste essentiel du Maroc : il y a les régions qui bénéficient de l’eau (d’une manière ou d’une autre, j’y reviendrai) et les autres. Et ça change tout. Inégalité primordiale, élémentaire, qui explique beaucoup des contrastes marocains. Même dans ces édens, cependant, la vie reste précaire. Et la fusariose qui frappe les palmiers met en danger la production de dattes, ressource principale des habitants de la palmeraie (et fruit religieux symbolique puisqu’il marque la rupture du jeûne les soirs de Ramadan). Le traitement n’existe pas (une équipe de scientifiques français, peu efficace, vient d’être remerciée et remplacée par une équipe allemande) et, pour éviter que la maladie ne se transmette par les racines d’un arbre à l’autre, la plante malade est brûlée et/ou coupée.

      

Nuit à Zagora dans un palace des Mille et une Nuits, ce qui nous met un peu plus mal à l’aise…

2ème jour : Zagora-Merzouga (330 Km)

Au sortir de Zagora, petit bout de piste pour rejoindre la R108 en amont de Nekob, sur le versant sud du jbel Sarhro, que nous suivrons jusqu’au Tafilalt avant de nous rendre à notre campement « nomade » au pied de l’Erg Chebbi près de Merzouga.

À partir de Tazzarine et de sa magnifique palmeraie, le paysage se minéralise de plus en plus : lunaire, d’abord et longtemps, il se couvre brutalement de sable. Ce royaume des Aït Atta, l’une des plus importantes tribus du Sud du XVIIème au XIXème siècles à moitié sédentarisée, est formé de falaises abruptes, de plateaux arides et salés, d’escarpement rocheux noirâtres et d’aiguilles volcaniques qui se dressent vers le ciel.

L’arrivée à l’Erg Chebbi (le désert de sable, par opposition au reg rocailleux que nous venons de traverser) se fait en hors-piste durant une quinzaine de kilomètres, le regard fixé sur les sommets de l’erg, sans autres indications que les traces laissées par les 4x4 précédents et à la bonne grâce d’Aziz qui se fait plaisir, autant qu’à nous, en dérapages peu contrôlés, accélérations subites dans les montées aveugles, applaudissements des deux mains quand la voiture décolle… Si Dieu existe, il a été bien bon ce jour-là. Inch’ Allah.

   

Bien sûr, c’est pour les touristes. Bien sûr, on ne peut pas ne pas percevoir le factice de la chose. Mais notre « campement nomade » a de la gueule : grandes tentes berbères disposées en carré, tapis au sol pour ne pas qu’apparaisse le sable, aiguières et théières en laiton, tables d’apparat, lanternes multicolores, …

         

Ce décorum attendra le soir : nous préférons continuer de jouer aux touristes et nous offrir une balade à dos de dromadaire (il n’y a pas de chameau au Maroc) dans les dunes orange, roses, marron, ocre, jaunes, sous un ciel d’un bleu de plus en plus profond. La Nature aime jouer des complémentaires… A-t-il senti qu’en le voyant je n’ai pu me retenir de penser aux lamas du capitaine Haddock, toujours est-il que notre animal est tout sauf commode : montée des deux pattes arrière et basculement vers l’avant, puis montée des deux pattes avant et basculement vers l’arrière - un vrai plaisir… Et refus obstiné de nous laisser redescendre. Pour un peu, il nous cracherait au visage… Mais le spectacle féerique qui nous attend avec le coucher de soleil sur les dunes, la gentillesse de notre chamelier (je ne parle pas de son patron, propriétaire des dromadaires, véritable tête à claques et pompe à fric exploiteur), le silence extraordinaire, la respiration invisible du désert, la finesse du sable ne peuvent nous laisser indifférents : nous savons là que nous reviendrons, dans d’autres conditions et pour vivre le désert, et sa démesure.

   

    

    

    

Soirée de gala, repas sous les tentes, douceur du soir, musiciens Daqqa (c’est une musique collective masculine de la région de Marrakech, rythmée, psalmodiée et chantée, normalement pratiquée le jour de la fête de l’aumône, l’Achoura, et réservée ici aux touristes pour la couleur locale : nous y entendons la taarija, tam-tam en argile, les qraqeb, castagnettes en fer, et le bendir, peau de chèvre tendue sur un cadre en bois). Nuit à peine fraîche. Matin dans les dunes pour un lever de soleil voilé par des nuages qui se feront de moins en moins rares les jours suivants.

3ème jour : Merzouga-El-Kelaâ M’Gouna (239 Km)

Nous remontons sur Erfoud et le Tafilalt et obliquons par la R702 pour rejoindre la N10 à Tinejdad et poursuivre sur Tinerhir et la vallée du Dadès.

Nous manquons à Erfoud la fête des dattes de deux jours… Dommage, apparemment. Nous sommes sur le versant nord du jbel Ougnat, terre de déboisement, de crues violentes et d’ensablement. Les palmiers, malades du bayoud, la maladie qui dessèche, sont rabougris et la terre à très forte teneur en sel est désertée par ses habitants.

    

À Tinerhir, balade à pied dans la palmeraie, opulente. Contrastes, contrastes… Le cours de l’oued est détourné, canalisé, et la répartition se fait de manière collective, deux jours par village. Chaque villageois a son carré (un peu à la manière de nos jardins ouvriers) où il fait pousser pour son usage personnel légumes, dattes, henné, céréales, etc.

    

Nous poussons ensuite jusqu’à l’entrée des gorges impressionnantes du Todrâ, que nous ne pourrons pas remonter, les crues d’il y a quelques mois ayant coupé la route et la boucle par la piste n’étant pas prévue. Je suis déçu, je me faisais une joie de marcher entre ces deux murailles rocheuses aperçues en photo (et nostalgie de mes temps de varappe bellifontaine) : de l’inconvénient de rêver ses voyages avant de les faire…

Nous poursuivons, fatigués, dans la vallée des roses, qui doit son nom autant à la couleur de ses roches qu’aux cultures de roses destinées à la distillation de l’eau du même nom.

À l’hôtel, nous rencontrerons un « intellectuel » marocain très critique à l’égard du roi et du gouvernement (je le prendrais un moment pour un provocateur) qui se lance dans un cours d’économie comparée pour montrer les avantages que certains trouvent à maintenir la population dans le sous-développement. Difficile de ne pas être d’accord avec lui. Même si nous ne voyons pas le début de commencement d’une réponse…

4ème jour : El-Kelaâ M’Gouna-Ouarzazate (92 Km)

L’arrivée à Ouarzazate se fait par Skouda et sa palmeraie et, surtout, par la retenue d’El-Mansour Eddahbi, construite en 1969 qui, non seulement a ennoyé deux villages (comme c’est le cas pour certains de nos barrages de retenue), mais en plus a privé d’eau tous les petits villages auparavant irrigués par les oueds Dadès et Ouarzazate pour le seul avantage des touristes et des studios de cinémas dont la ville s’enorgueillit… Le tourisme manne providentielle pour quelques-uns, ruine pour les autres à qui l’on n’a pas demandé leur avis. Jamais je n’avais autant vécu ce cercle vicieux du développement imposé de l’extérieur. Il est sûr que le tourisme en pays riche, en Norvège par exemple, est plus reposant pour l’esprit. Dans un hôtel de Marrakech, un garçon nous dira : « J’existe parce que vous existez. Vous ne seriez pas là, je crèverai chez moi. Et ma famille avec ». Certes. Mais pour une famille comme la sienne qui s’en est sortie grâce au tourisme, combien qui ont été enfoncées un peu plus dans la misère ?

   

Ouarzazate, en soi, n’a pas grand intérêt. C’est une ancienne ville de garnison française, qui fait la transition entre la montagne et le désert, et sert d’escale technique aux randonnées dans ce dernier ou de base retranchée hôtelière aux stars du cinéma international.

Nous faisons cependant une visite intéressante de la vieille ville, première vraie rencontre avec les odeurs et l’animation du cœur des villes marocaines et où je m’essaie à ce que tout le monde présente comme le sport national, après le foot : le marchandage. Avec un marchand de tapis, ça ne s’invente pas… Tout est bon : la colère feinte, les cajoleries, la flatterie, les pleurs attendus, les mots rageurs. C’est une affaire d’hommes (ce n’est pas moi qui le dit), de patience, de respect. L’acheteur est toujours perdant. Il suffit qu’il ait l’impression de faire une bonne affaire. Pour le tapis, j’ai été « bon » : ma profession d’instit’ a surpris le vendeur, habitué à ce que les enseignants soient des pigeons faciles. Ma qualité de petit-fils d’arménien lui est apparue comme une révélation… Je me suis fait avoir, ailleurs, en négociant des babouches. Je le sais, c’est la règle du jeu : le marchandage nécessite une vigilance permanente, et une tension psychologique que je ne suis pas habitué à avoir en toute occasion. Tant pis pour l’un, tant mieux pour l’autre…

           

Nous sortirons de la ville, pour monter à la demeure du Glaoui, la Kasbah de Taourirt, accueillante aux cigognes, où nous comprenons un peu mieux les principes architecturaux marocains. L’Islam est une religion de l’égalité. Afficher ses différences est mal vu. Lorsque ce principe est conjugué avec la nécessité de se préserver du soleil et de la poussière, cela donne des maisons aveugles, aux hauts murs de pisé souvent mal entretenus. C’est l’intérieur qui fait la différence, le harem, premier sens de ce mot. L’invraisemblable enchevêtrement d’escaliers étroits s’explique aussi par la nécessité d’isoler les pièces de la chaleur et par la volonté de préserver l’intimité de chacun. Dessins géométriques ou motifs floraux réalisés en stuc, plafonds de verrières masquées du soleil ou de bois polychromes, sols pavés de rouge contrastant avec les murs blancs montrent la richesse des derniers maîtres du Sud (dont nous connaissons en France l’un des derniers descendants en la personne de Mehdi, acteur des feuilletons de notre enfance Belle et Sébastien ou Le jeune Fabre). C’est aussi ici que nous constatons qu’inscription au patrimoine mondial par l’UNESCO ne rime pas nécessairement avec restauration de bon goût…

    

5ème jour : Ouarzazate-Marrakech (233 Km par la piste de Telouèt)

La boucle par la piste de Telouèt, après Aït Benhaddou, sera la partie de route la plus belle et la plus accidentée du voyage. Aziz, qui sent le retour proche, en profitera pour faire ses courses dans des échoppes improbables (œufs, dattes, noix) dont nous profiterons aussi. C’est une succession de villages en terre surgis comme à l’improviste, souvent assez bien irrigués, et où nous comprendrons enfin le pourquoi de la présence permanente des enfants sur les routes et les chemins : le manque d’infrastructures et d’enseignants (l’école est obligatoire de 5 à 15 ans depuis 2000 seulement) impose d’organiser des rotations deux ou quatre fois par jour pour trouver une place à chacun. Système pervers, mais qui convient aux familles dont les enfants peuvent ainsi travailler lorsqu’ils ne sont pas en classe, et qui explique le taux d’analphabétisme élevé.

     

    

     

Quelques marches arrière périlleuse nous font approcher la Foi, la redescente du Tichka nous fait trouver notre foie trop proche de notre bouche, la prochaine fois ne nous y reprendra plus…

L’arrivée à Marrakech, et l’installation dans un hôtel superbe gardé par des paons, à l’extérieur de la ville, sera l’occasion d’un repos bien mérité, mais aussi de l’envie irrépressible d’une liberté jusque-là peu présente. Départ, donc, en grand taxi, pour la place Jemaa-el-Fna et les souks où nous nous perdrons à ravir durant plus de quatre heures. Ici, les grands taxis sont des Mercedes couleur crème qui charge jusqu’à six passagers pour un tarif à négocier avant le départ (et l’aller-retour n’est payable qu’après le retour…), les petits taxis (trois passagers) n’ayant pas le droit de quitter la ville.

    

          

Il est 16 heures. La rupture du jeûne est pour 17 h 50. Sur la place, dominée par la Koutoubia, le minaret de la mosquée des libraires, les stands des vendeurs ambulants se montent pour être prêts à l’heure : harira (la soupe de lentilles et de pois chiches), brochettes, tripes, escargots, jus d’orange. Les odeurs de friture et d’épices, d’amandes grillées et de pain chaud (le petit pain rond, si bon, à 2 DH = 0,2 €) se mélangent et tournent la tête. L’agitation ambiante aussi, et le bruit, et les couleurs, et les flûtes des charmeurs de serpents, et les musiques des Gnaoua en sarouel, gandoura et castagnettes de métal. Un vrai festival à ciel ouvert…

La plongée dans les souks commerçants sera elle aussi un vrai moment de dépaysement. La première impression ? L’odeur entêtante de l’essence des mobylettes qui circulent en tous sens dans ces ruelles couvertes où l’air ne pénètre pas et qui, parce qu’elles klaxonnent, n’imaginent pas qu’elles peuvent aussi ralentir, « Père gardez-vous à gauche, Père gardez-vous à droite ». Ma canne n’a aucun effet préventif…

Alternent alors marchands de cuir, de ferronneries, de tapis, d’étoffes, de bois, de cuivres, de laines - seule l’énumération peut rendre compte de la diversité, de l’accumulation, de l’outrance, du plaisir infini d’être là, sans inquiétude ni appréhension d’aucune sorte. Lorsque nous nous perdrons, près de la Médersa Ben Youssef, dans des ruelles sombres, avec des dizaines de Marocains pressés montant en sens inverse pour se rendre à la prière, à aucun moment nous ne nous sentirons oppressés ou en danger : impossible de dire la même chose dans certains quartiers de Paris ou de La Défense vers 20 heures.

Lorsqu’à la radio retentit l’appel de rupture du jeûne, un bâton est placé en travers de l’entrée des boutiques, et chacun sort fébrilement de son papier journal plié un pain rond à la viande hachée et aux oignons, de sa thermos un bol de soupe brûlant, de sa bouteille une eau bienvenue, … Épreuve douloureuse que le Ramadan, de suivi obligatoire sous le regard des autres, mais de prescription remise en cause, parfois, dans l’intimité, surtout pour ceux qui travaillent. Nous avons senti là, peut-être à tort, comme une époque commençant à s’achever : au-delà de la revendication identitaire, la confrontation aux impératifs de rentabilité et d’efficacité de la vie moderne semble devoir finir par adoucir cette pratique ancestrale.

   

Le retour au grand air sur la place, maintenant illuminée de guirlandes lumineuses éclairant les étals où chacun mange enfin, après l’obscurité des souks et leur atmosphère confinée, semble irréel. Malgré le bruit et l’odeur des générateurs à gasoil, tout paraît comme apaisé, un instant, avant que reprennent les démonstrations de danses acrobatiques, les numéros de singes malicieux, les tours de passe-passe, les appels des diseuses de bonne aventure ou des tatoueuses au henné, … Un spectacle vivant, toujours recommencé.

   

6ème jour : Marrakech

Journée touristique au sens traditionnel du terme, et donc un peu frustrante pour nous qui avons goûté aux délices de la liberté d’hier…

Départ matinal pour les jardins de la Ménara, joli pavillon ocre au bord d’un bassin aux carpes « centenaires » qui servit de bassin d’apprentissage de la natation pour les officiers et les soldats saadiens. Nous voulions admirer le jardin Majorelle, tout en bleus, mais nous filons sur les tombeaux Saadiens, nécropole paisible et volontairement oubliée par la dynastie suivante des Alaouites, ceinte de hauts murs ocres, et dont le mausolée de Moulay El-Mansour est un bijou. Composé de trois salles, dites des hommes, des femmes et des princes, il est riche de ses décors de stuc ciselé, de ses plafonds en bois de cèdre, de ses colonnes en marbre. Un silence paisible, sinon respectueux, enveloppe les lieux, dont les chats ensommeillés au soleil sont les gardiens fort peu vigilants.

    

    

   

Avant le repas (dans une usine à touristes), visite du palais de la Bahia, « la Brillante », superbe demeure princière de tradition andalouse. Aucun plan n’organise le palais, construit au fur et à mesure de l’acquisition des maisons voisines. Les appartements s’organisent autour de patios intérieurs « aux quatre jardins » (un par saison), et leur intimité n’a d’égale que la richesse de leur décoration. De petites marches protègent des pluies éventuelles, tout se trouvant à ciel ouvert. La cour de marbre regorge de faste (galerie aux colonnes peintes, vasques à jets d’eau) et ouvre sur la salle d’honneur, dallée de marbre de Meknés, aux murs recouverts de faïences de Tétouan et protégée par un somptueux plafond en cèdre de l’Atlas enluminé.

L’après-midi, visite du versant production des souks. Les enfants pieds nus dans la ferraille, les hommes bras plongés dans les bains colorants, tous serrés à dix ou douze dans des « ateliers » à marteler le fer, coudre le cuir ou tisser la laine, pour 10 DH (= 1 €) par jour et pour des babouches, par exemple, dont la négociation commencera aux alentours de 180 DH (pour finir, bien souvent, à moins de 80 DH) : il faut bien que le vendeur loue fort cher son échoppe, dans les allées des souks commerçants.

  

Nous mettrons à profit le petit temps libre restant pour boire les trois thés à la menthe traditionnels dans un café de la place, à prendre le soleil avant de regagner les brumes de nos contrées septentrionales, emplis d’odeurs, d’images, de visages qui, loin d’installer la nostalgie, nous disent que le retour en ces hautes terres ocre et de misère est pour bientôt…

   

Quelques images de Marrakech

OU

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